Mayalen / Charly/Fleurine

Fin de journée. Il fait presque nuit. Je n'ai pas le coeur d'aller me coucher. De toute manière, il fait trop chaud. Rajoutez à cela que j'ai beaucoup trop mal aux épaules pour pouvoir espérer dormir correctement. Je regrette de ne pas pouvoir autogérer mes muscles tendus. La seule chose que je peux faire c'est d'essayer de me détendre. Par la fenêtre de ma chambre, par laquelle j'observe les alentours, je vois Mayalen traverser la terrasse. Elle doit certainement se rendre aux sources chaudes. Maintenant que j'y pense, c'est vrai que je l'ai à peine aperçu aujourd'hui, elle a dû travailler autant voir plus que nous tous. Cela me fait penser que je n'ai pas eu l'occasion de faire plus ample connaissance avec elle et m'en sent légèrement honteux. Après tout, elle avait pris la peine de préparer le petit-déjeuner il y a quelques jours auquel elle m'a convié. J'écrase ma cigarette dans le cendrier sur mon bureau et laisse la fenêtre ouverte pour aérer la chambre. Dans la salle de bain, en passant devant le miroir, je lâche un soupir de consternation. Les longues journées de travail sont désastreuses. Entre ma barbe naissante, mes cheveux en bataille et mes cernes sous les yeux, je suis bon à faire peur. J'espère qu'aller me prélasser dans l'eau chaude aura au moins le bénéfice de me faire passer une bonne nuit. Je prends une serviette propre, passe un maillot sous mes habits et descend rejoindre Mayalen. En arrivant, je pose soigneusement mon pantalon et ma chemise sur une chaise longue. Il y a beaucoup moins de brouillard qu'hier et l'air est moins humide. La jeune femme brune est assise sur un siège émergé. Je lui souris et m'assois sur le bord.

"Puis-je ?"

Je me laisse glisser dans l'eau après avoir remercié Mayalen de me laisser partager son moment de détente. Oh mon dieu, c'est vraiment le paradis cette source d'eau chaude. Je bénis les filles d'avoir eu cette merveilleuse idée. J'ai déjà eu l'occasion d'y venir avec Fleurine. Aujourd'hui, j'ai l'impression d'en avoir vraiment besoin. Tout mon corps me déteste et me réprimande à sa façon d'en avoir trop fait. Ma nuque me semble raide comme de la pierre et mes épaules définitivement hors d'usage. Demain, mes courbatures seront certainement à la hauteur de mes espérances...en d'autres termes ; je vais amèrement regretter. Dans le sourire que Mayalen m'adresse, il y a quelque chose qui ne va pas, quelque chose de mélancolique qui me laisse dubitatif. Je me passe la main sur la barbe et renvois cependant son sourire à la jeune fille.

"C'est certain qu'il m'en a fait voir mais vous étiez beaucoup trop occupée pour que je me permette de vous déranger...cependant je dois bien l'admettre il a l'air d'avoir beaucoup de capacités."

Je bascule à mon tour la tête en arrière et observe les étoiles qui sont venus parsemer le ciel. Il n'y a plus aucun nuage au-dessus de nous et l'orage d'hier ma paraît déjà loin. Du coin de l'oeil, pour ne pas paraître indiscret, je regarde le visage de Mayalen. Ses yeux sont légèrement rouges. Je suis incapable de dire si c'est à cause de l'eau où si elle a réellement pleuré. Je tords la bouche, tiraillé entre deux envies ; lui remonter un peu le moral ou la laisser tranquille.

"Vous allez bien Mayalen ?" Je tente simplement. Si elle le veut, elle répondra à ma question sinon, je respecterai son silence.

Sa réponse ne m'a pas convaincu. Elle a le même sourire que moi lorsque je m'efforçais de rester optimiste devant le déclin évident de ma mère. Il est évident qu'elle porte quelque chose sur le coeur qu'elle ne veut pas me confier. Je ne lui en veux pas. Comment pourrais-je ? C'est de sa vie privée dont il est question et je n'ai rien à y faire tant qu'elle ne m'a pas invité à en savoir plus. J'acquiesce en haussant le sourcil quand elle mentionne le stress et la fatigue. Ces deux facteurs sont véritablement destructeur pour les nerfs. Après tout peut-être est-elle juste fatiguée ? Sa question me fait échapper un petit rire. Je me tourne, le ventre contre la paroi et pose la tête sur mes bras.

"Je suis parti de l'Angleterre pour être loin de chez moi, je n'ai plus envie d'y mettre les pieds. La France était mon choix premier, je suis déjà venu en vacances, à Aix-en-Provence, quand j'étais petit et j'ai réellement adoré le pays, la langue...le coup de foudre comme vous dites. Quant à votre écurie, j'ai été attiré par la région et par la beauté du cadre. Le prestige ne m'intéresse pas...je suis mes envies c'est tout."

Je ferme les yeux un instant, laissant l'eau détendre mes épaules. Je pense que je vais passer ma nuit ici, c'est décidé. Celui qui me fera sortir n'est pas encore né. J'adresse un nouveau sourire sincère à la jeune femme.

"Et je ne regrette pas mon choix..."

"Oh in Wales ? Really ? My sister lives in Wales with her husband and her daughter." Je lui fais un clin d'oeil et vais nager tranquillement à côté d'elle "Je ne suis pas un grand voyageur non, à part quelques petites escapades en France, je n'ai pas eu la chance de faire d'autres voyages." Je me tourne, me laissant flotter sur le dos, mes cheveux bruns ondulant lascivement autour de mon crâne. Le regard dans le vague, j'écoute patiemment chaque bruit qui nous entourent. C'est aussi pour ça que j'aime la région ; les criquets, les chevaux qui mènent leur petite vie, les grenouilles. Ce n'est pas grand chose mais ça suffit à mon bonheur. "Et vous Mayalen, pourquoi vous être lancée dans un projet aussi vaste ?"

Flottant toujours sur la surface de l'eau, j'écoute Mayalen sans perdre un mot de ce qu'elle me dit. En fait, je suis très admiratif de son travail et de celui de Fleurine. Jeunes, dévouées, talentueuses et courageuses. Elles se sont lancées toutes les deux dans cette énorme entreprise sans même se poser de question, par amitié pour l'ex-propriétaire de la ferme et pour l'amour des chevaux. A leur âge, j'étais encore à faire les quatre cents coups avec mes amis et à rentrer chez moi le soir, titubant, en me promettant de ne plus jamais mettre un pied dans le moindre bar. J'ai un rictus en repensant à cela. Oh ça oui, elles sont beaucoup plus mature que ne le sont la majorité des jeunes femmes de leur âge. Mon sourire s'efface rapidement quand un bruit me met la puce à l'oreille ; un sanglot ?! Dans la précipitation, je perds toute coordination et coule piteusement. Je surgis devant Mayalen, reprenant ma respiration et dégageant mes cheveux plaqués contre mes yeux. Une ride d'anxiété me raye le front et mes sourcils se rejoignent en une expression peinée. Je pose mes mains sur les épaules de la brune ;

« Hé, si c'est votre accent qui vous mets dans cet état, on peut le travailler » je lui fais en riant doucement « Vous êtes certaine que tout va bien ? » Je redemande en haussant un sourcil.

Des larmes de joie ? Si ce n'est que ça alors, tout va bien. Mon visage se détend mais je laisse un instant mes paumes sur les épaules de Mayalen, comme pour m'assurer qu'elle ne va pas se remettre à pleurer. Pour autant, je la sens tendue sous mes mains, comme quand on vit un profond moment d'hésitation. Je la laisse se rassoir et prend place, à quelques centimètres d'elle. Je ris sous cap en repensant à ses interrogations "Je vous taquinais, votre accent n'est pas mauvais...vous m'auriez entendu quand je suis arrivé à Paris ; une catastrophe." C'est à cet instant qu'un petit chat noir s'invite sur la terrasse. Je ne sais pas s'il appartient à quelqu'un mais, sa minuscule bouille entachée de blanc aux grands yeux bleus, peint sur mon visage un air attendris "Salut toi..." Je fais doucement en tendant une main mouillée qu'il vient timidement léché "t'es pas bien grand dis donc..."

Accroupis à côté de notre nouvel ami à poils, je me laisse définitivement attendrir par la petitesse et la fragilité de son corps de chaton. Il engloutis son casse-croûte comme s'il n'avait pas mangé depuis plusieurs jours. En fait, ça ne m'étonnerait pas, je le trouve un peu maigre de l'arrière train. La question de Mayalen est un véritable dilemme. D'un côté, j'aimerais le garder, j'ai besoin de compagnie en ce moment et m'occuper de cette minuscule boule noire pourrait me changer les idées. D'un autre côté, il n'est pas qu'à moi et je n'ai pas le droit de me l'approprier comme ça, ce ne serait pas juste vis à vis de mon amie. Je le caresse doucement, presque apeuré de lui faire du mal. Il faut dire que ma main est presque aussi grande que lui. Je l'entends ronronner à pleine puissance alors qu'il s'acharne toujours sur son bol de lait et ses croquettes. "Tu meurs de faim mon pauvre..." Il se redresse et pose ses petites pattes sur mes genoux et miaule à en faire trembler les murs. "Hey chhht" je murmure en le prenant contre mon torse "tu vas nous réveiller du monde...". Je m'apprête à donner ma réponse à Mayalen mais celle-ci éternue avant même que je puisse ouvrir la bouche. Tenant le chaton d'une main je vais chercher ma serviette que je dépose sur les épaules de la brune. "N'allez pas attraper un mauvais rhume....j'aimerai le garder mais...la décision vous reviens."

Je suis comme soulagé de pouvoir garder ce minuscule chaton et remercie sincèrement Mayalen de me laisser l'entière responsabilité du petit animal. Avant de la rejoindre au bord de l'eau, je dépose un baiser plus que léger sur le crâne de mon nouveau colocataire et le place minutieusement sur mon pantalon pour qu'il s'y repose. Un violent frisson me traverse ; je crois qu'il est plus que temps de regagner l'eau chaude. Sans doute plus frileux que mon amie, je rentre entièrement dans l'eau et m'accoude à côté d'elle ; "Il va s'appeler Moustache...je ne sais pas pourquoi mais je me suis promis que si j'avais un chat un jour, il s'appellerait comme ça..." Je laisse mon doigt dessiner des petits cercles sur le sol et soupire d'aise. "Vous vous réchauffez Mayalen ? Ca ira ?"

Dormir à la belle étoile ? L'occasion m'a été donnée une fois mais je n'en garde pas un excellent souvenir. Trop de moustiques. Pourtant, il faut se l'avouer, l'air ambiant est particulièrement agréable et l'idée de me laisser bercer par le chant harmonieux des grillons ne me déplais pas. Je suis incapable de dire quelle heure il est, mais la fatigue que j'ai emmagasiné aujourd'hui semble s'être volatilisée comme absorbée par la caresse de l'eau thermale.

Parler avec Mayalen est un autre facteur d'apaisement. J'aime cette femme. Enfin, par là, je veux dire que je la trouve sympathique, matures...j'en oublierai presque les années d'écart. De plus, son émotivité, qu'elle m'a laissé entrevoir, lui donne cette image fragile qui contraste avec sa ténacité. Une fragilité attendrissante qui donne simplement envie de la laisser se blottir dans vos bras. Je roule mes yeux dans leurs orbites ; voilà que je recommence à rêvasser. « Si je ne suis pas de trop...j'aimerai renouer avec les nuits au grand air ».

Je sors de l'eau en prenant appuie sur le rebord et m'assois en tailleur à ses côtés. De minuscules tremblements secouent mes bras. Une chose est sûre ; si je dois dormir là ce soir, ce ne sera pas avant de m'être séché. Ha...ma serviette. Enroulée autour des épaules de Mayalen, je ne cherche même pas à la récupérer. Elle en a plus besoin que moi, ses lèvres ont légèrement bleuies. Je vais attendre...que me disais mon médecin déjà sur les bienfaits du froid ? « Je passe une délicieuse soirée Mayalen et, je t'en pris, tu peux me tutoyer. » La lueur des lampes solaire est apaisante, aussi douce que la chaleur qui regagne peu à peu mon corps. En cambrant le dos pour m'étirer, je remarque une légère raideur dans la nuque de la jeune femme. Déformation professionnelle, qu'est-ce que vous voulez ? « Tu travailles trop... » Je soupire pour moi en fermant les yeux.

Le temps que Mayalen nous trouve des duvets, je fais un aller-retour dans ma chambre. J'en profite pour amener Moustache au chaud et le laisse se faufiler sous mes couettes. Je retire mon maillot et l'essore au-dessus de la baignoire avant de le mettre à sécher sur le radiateur. Si quelqu'un à la mauvaise idée de rentrer dans ma chambre à ce moment précis, je pense que je serais foudroyer instantanément par la honte. J'enfile un caleçon - la moindre des choses non ? - et remets mes habits. Je suis encore un peu mouillé mais rien de terrible. Je redescend prudemment pour ne pas réveiller les autres cavaliers et retrouve Mayalen au bord de la source. La serviette que me donne la jeune femme me serre à essuyer mes cheveux, dégoulinant encore. "Demande moi si tu travailles trop...tu sais ce n'est pas bon pour tes muscles de te surmener." Je tord la bouche passe une main dans ma tignasse emmêlée "Désolé, je ne veux pas te donner de leçon, c'est seulement un....conseil d'ami" Je fais en lui lançant un clin d'oeil.

Allons donc, voilà qu'on me qualifie encore de mystérieux. Est-ce un appel du pied pour que je sois un peu plus causant ? "Oh tu sais...ma vie n'a rien ne particulier ni de réellement joyeux...je ne voudrais pas assombrir notre belle soirée." Réellement, je ne veux pas qu'elle en sache plus. J'ai peut-être peur qu'elle ne veuille plus que l'on soit ami, qu'elle me trouve ignoble. C'est vrai qu'au sein de la famille, je suis souvent perçu comme le méchant qui laisse son vieux père pour ne plus avoir à supporter sa belle-mère. Il y a de ça. Mais ce n'est pas tous. "Quand j'étais enfant, je ne me destinais pas à être ostéopathe mais...pianiste. Ma passion pour le cheval est venu après mon entrée au conservatoire, au damne de mes parents."

Je m'assois sur le transat en face d'elle et pose le duvet sur mes épaules. Je plante mon regard dans le siens, touché par sa perception de la musique qui est très similaire à la mienne. Le piano m'a fait oublier beaucoup de choses et a surmonter plusieurs épreuves compliquées. Je tapais quelques notes ou passais des heures devant mon tourne disque, juste pour m'évader. Me concentrer sur les paroles sages des Beatles ou des Stones, seulement pour faire impasse sur les disputes intempestives dont la maison était le théâtre. Pour répondre aux interrogations, de Mayalen, il faut pourtant que je m'engage dans des chemins encore noirs. Mon sourire vacille. Je me passe le doigt sur l'arrête du nez, pensif. «Quand... » Je prends une inspiration profonde « Quand ma mère est partie, j'ai perdu goût à beaucoup de choses, notamment à la musique. J'avais vingt ans. » Je lève le nez pour ne pas que la jeune femme ne voit les larmes qui bordent mes yeux. C'était il y a quatorze ans mais les souvenirs restent. « J'ai tout arrêté, puis avec l'arrivée d'une nouvelle femme dans la vie de mon père, à peine un mois après la...le...départ de maman, je n'ai pas réussis à faire correctement mon deuil. J'ai préféré aller vivre chez mon grand-père, dans sa petite ferme. C'est là-bas, alors que je venais de commencer à fumer et à décliner sérieusement, que j'ai commencé l'équitation. » J'essaye d'empêcher ma lèvre de trembloter « Je m'occupais des trois poneys de mon grand-père plus que de moi-même et, comme il était aussi ostéopathe, il m'a appris les bases du métier. La même année, je suis partie en formation. Mes parents, enfin, mon père et ma belle-mère n'ont pas approuvé mon choix...d'après eux, ce n'était pas un métier assez respectable. ».

Allongé sur le transat, je tiens mes abdos douloureux et récupère lentement mon souffle. Passer du rire aux larmes comme ça, c'est vraiment une bénédiction. Je me sens détendu, à la limite de l'euphorie, et les larmes qui coulent de mes yeux n'ont rien à voir avec une quelconque tristesse. De ma poche, je sors un paquet de cigarette que j'avais pris soin d'y glisser avant de redescendre. Les yeux plongés dans l'infini, j'en coince une au coin de ma lèvre et l'allume en écoutant Mayalen. Ce soir, le ciel scintille de tous ses feux, nous offrant un spectacle d'une rare beauté. Je ferme les yeux, bercé par d'agréables souvenirs et l'odeur sauvage de la campagne, et souffle un épais nuage de fumée dans la direction opposée à la jeune femme. Je ne répond pas tout de suite, appréciant le petit silence qui s'installe entre nous. Vous savez, parfois, les mots sont inutiles, futiles. Dans mon silence, il y en a beaucoup plus qu'en quelques phrases. Il y a le rythme de ma respiration, lent et profond, qui se mêle à la légère bise fleurie. Il y a le bruit de mes doigts qui tapotent doucement les accoudoirs du transat. Il y a l'écho de mon souffle trainant, crachant une fumée blanche d'entre mes lèvres. Je regarde Mayalen, longuement, presque tendrement. "Cela fait longtemps aussi que je n'ai pas pris le temps d'observer les étoiles...ce soir le ciel est..." Je tire sur ma cigarette et souffle ; "...superbe"