Chambre 4: Charly

Il y a quelque chose qui ne va plus. Il fait une chaleur de four micro-onde dans cette chambre. Ma paupière, celle qui n’est pas écrasée contre l’oreiller, se lève difficilement. Grand Dieu…Le soleil brille dehors. Je me demande bien quelle heure il est. Il va m’en falloir du courage pour sortir de ce lit. J’ai beau suer à grosses gouttes sous cette couette, le matelas est tellement moelleux que je fais impasse sur ce petit désagrément. Il n’y a pas à dire, on leur doit bien ça aux Français ; leurs chambres sont d’un confort…Ca change du vieux lit à ressort que je possédais à Londres. Merci, me voilà loin de cette ville anxiogène. Belle certes mais tellement stressante. Les gens ne savent plus prendre leur temps, tout se perd, c’est d’une tristesse. Au moins ici, dans cette petite campagne française, on apprécie vivre au jour le jour, quel repos.

Je soupire, décidément pas motivé. La fatigue accumulée ces derniers mois n’a pas eu très bon effet sur mon métabolisme. Départ de Londres, arrivée à Paris, deux mois chaotiques entre chômage et cous de Français dans la capitale, un emploi convenable en poche loin de la ville, un voyage de dix heures pour enfin arriver en pleine campagne. Je suis ici depuis deux jours mais le travail m’appelle déjà ; avec les animaux, on n’attend pas. Je plonge mon visage dans l’oreiller, essayant de rassembler tout mon courage pour esquisser ne serait-ce qu’un mouvement.

Finalement, je ne supporte plus la chaleur. De plus, mon ventre commence à crier à famine. Je me dégage de la couette qui me tenait dans son étouffante étreinte. Le contact avec l’air me rafraichis un peu mais je n’irai nulle part sans avoir pris une douche. Un coup d’œil au réveil m’indique qu’il va être sept heures. La lueur du soleil à travers les stores illumine légèrement ma chambre. J’étire mes bras au-dessus de la tête avant de me lever enfin. J’allume la lumière et, dans mon armoire, choisis machinalement une chemise et un pantalon en jean. La douche semble me tendre les bras, autant céder à ses avances. Je prends le temps de me délasser un peu sous les jets tièdes, me massant la nuque pour évacuer les tentions. J’ai un rictus ; décidément, mon métier me colle à la peau.

Lavé, rafraichis, séché, les dents blanches, chemise fermée. Un dernier coup de peigne. Autant être présentable. Je me regarde dans le miroir. Confronté à ma propre image, j’espère faire bonne figure ces premiers jours. Si je dois rester ici ces prochaines années, il fallait au moins que je m’intègre en faisant mes preuves.

« Allons-y… » Je murmure à mon reflet, une ride sur le front trahissant une petite inquiétude.

Je sors de la salle de bain et vais ouvrir les volets. Je plisse les yeux devant la gerbe de soleil qui s’engouffre dans ma chambre. Il fait un temps radieux dehors, cela embellis bien plus le paysage. Rien à voir avec mes terres britanniques. Je souris et ferme un instant les yeux, respirant profondément l’air de la campagne. Il est certain que je vais me plaire dans le coin. Comme j’ai encore quelques minutes à tuer avant d’aller prendre un petit déjeuner, je m’accoude à la fenêtre et allume une cigarette, sentant un franc bonheur s’emparer de moi.

Hé bien, quelle journée. Je souffle un nuage de fumée, souriant béatement en observant les étoiles. L’orage a cessé et la nuit, bien qu’humide, est agréable. Nous avons fini de dîner il y a quelques minutes. Bien qu’ils ne le mesurent peut-être pas, le fait qu’ils aient apprécié mes plats me fait chaud au cœur. C’était ça que j’avais espéré trouver en venant vivre ici ; du partage et de la bonne entente. J’attendrai un peu avant de leur faire goûter nos bizarreries culinaires mais si je m’arrange bien, je suis sûr que j’arriverai à leur faire avaler quelque chose de totalement hors du commun et peut-être même à leur faire apprécier cela. Je rie en pensant à la tête que me feraient les filles si je leur présentais des œufs panés. Par contre, je suis persuadé qu’elles deviendraient fan des mes tourtes à la viande. A voir. En somme, le bilan est positif. Je me sens bien intégré et mes supérieurs deviendront rapidement des amies, du moins, je l’espère. Je reste accoudé au rebord de le fenêtre, profitant de la plénitude de cette soirée. Je n’ai pas réellement sommeil, la lourdeur de l’atmosphère me rendant insomniaque ces temps-ci. Je regarde ma montre ; il n’est pas très tard, je m’accorde encore plusieurs minutes. Un rire m’échappe en repensant à mon tragique accident sous la table de la salle à manger. J’ai le nez encore un peu gonflé mais, le pire dans l’histoire, c’est l’état de ma chemise. Je l’ai laissé à tremper dans une solution détachante, le temps de finir ma cigarette en croisant les doigts pour arriver à la nettoyer sans la décolorer. Quelque chose me dit que c’est mal barré. Trois coups distincts me font tourner la tête. Quelqu’un ? A cette heure ? Il est presque minuit…J’écrase ma cigarette dans un cendrier posé sur mon bureau et attrape à la va vite une chemise que je balance sur mes épaules avant d’ouvrir la porte. Fleurine ! Je suis prêt à la faire crouler sous une avalanche de questions, me demandant s’il y a urgence. Finalement, je soupire de soulagement en l’entendant me proposer une sortie aux sources chaudes, pour se faire pardonner. Je ne lui en ai jamais voulu, ce n’est pas sa faute si ma main a atterri directement sur mon pied.

« Si vous me promettez de ne pas porter atteinte à mon visage, j’accepte volontiers » Je lui dis en lui lançant un clin d’œil.

Mon coeur martèle encore rudement dans ma poitrine. J'en ai presque mal. Il est sept heures du matin, mon réveil s'égosille et crache le son grésillant de son alarme. En temps normal, je l'aurais fait taire d'un coup de main et me serais parti rejoindre mes amies. Mes amies. Je me mords le poing, presque jusqu'au sang. La douleur physique me fait oublier celle qui tourmente mon esprit. Je ne mérite même plus leur amitié...encore moins leur amour. Je ne sais plus du tout quoi penser. Mes vieilles souffrances reviennent toquer à la porte. Je repense à Lou, à qui j'avais passé la bague au doigt et qui m'a laissé tomber quelques semaine après. Bordel, je l'aimais. Qu'est-ce qu'il a contre moi le destin ? Je n'ai pas le droit d'être heureux ? C'était ça la contre partie pour rester en vie ? Maya'. Fleurine. Est-ce que j'ai réellement le droit de faire un choix ? Est-ce que je serai un énorme batârd si j'ose poser mes lèvres sur celle de l'une ou l'autre ? Oui...elles sont tout aussi humaines que moi. En plus de cela, elles sont jeunes, je n'ai pas le droit de leur faire mal. Pas maintenant. Elles ont encore du temps pour être heureuse, il faut qu'elles en profitent. La décision ne m'appartient plus. Je veux simplement leur bonheur. Caressant distraitement Moustache, je fond en larmes, dégouté par mon égoïsme, détruit par la tentative désespérée de Fleurine. Mayalen est allée la chercher à l'hôpital. Tout ce que j'espère, que je souhaite plus que tout au monde, c'est qu'elle aille mieux, qu'elle s'en tire. Avec ou sans moi, j'en ai rien à foutre. Je suis un poids pour elles deux.

Mon royaume pour une douche ! J'empeste la transpiration et le cheval à des kilomètres à la ronde. Remarquez, vu l'état de mon T-shirt, ce n'est pas très étonnant. En entrant dans ma chambre, je suis accueillie par des miaulements coléreux. Moustache n'aime pas quand je rentre tard. J'éclate de rire en le voyant se précipiter vers moi et tenter une ascension de mon pantalon à la force de ses petites pattes. Je l'attrape et lui gratte la tête, déclenchant ainsi une série de ronronnements assourdissant. Je le pose sur le lit et, comme m'avait conseillé Fleurine, verse un peu de lait maternel dans une coupelle à côté de ses croquettes. Une fois fait, je m'enferme dans la salle de bain et me fait une joie d'enlever ce T-shirt jaunâtre qui me colle à la peau. Mes habits finissent en boule, dans le panier à linge sale. Sous la pluie chaude dont me gratifie la douche, je repense à la journée, à ce qui m'attend et à la balade en montagne qui nous attend. Je souris en malaxant mes cheveux enduis de shampoing ; moi qui avait peur de ne pas être assez occupé. Ensuite, laissant couler l'eau sur mon corps malmené tâché d'une ecchymose bleue sur la cuisse, je cherche un nom pour ma future monture. Cassis ? Iris ? Palladium ? Juice ? Cream ? After Midnight ?....Après quelques instants de profondes hésitations et en fermant le robinet, je trouve enfin une étiquette qui lui colle parfaitement à la peau ; Palladium Cassis. Content de ma trouvaille, j'enfile seulement une chemise et frictionne mes cheveux mouillés. J'irai peut-être manger quelque chose plus tard mais rien n'est moins sûr. Je m'accoude à la fenêtre et allume une cigarette, attendant que la fatigue me gagne peu à peu.

*BLAM*. Ouch. Définitivement, c'est ce qu'on appelle un réveil difficile. Soit ce lit n'est pas assez grand soit je bouge trop dans mon sommeil. Quoi qu'il en soit, je viens de faire la connaissance assez brutale avec le sol de ma chambre. Je grogne en me massant le front, et me redresse, assis sur le parquet tiède, pour regarder l'heure. "Mother of god !". Il est plus que temps de se bouger. Il est neuf heures tapantes, si je veux être prêt pour la randonnée, j'ai intérêt à mettre les bouchées doubles. Je baille à m'en décrocher la mâchoire et étirant longuement mes bras. Avant toutes choses, je vais remettre de quoi manger à Moustache qui semble me supplier de ses grands yeux larmoyant "Ca va, ne la joue pas mélodrame, les voilà tes croquettes !". Je gratte sa petite tête avant de prendre des habits adéquat dans mon armoire et d'aller prendre une douche et me raser. J'ai un peu mal au coeur de laisser le chaton tout seul si longtemps - il me le fera payer d'ailleurs - mais je n'ai pas la possibilité de me chagriner plus puisqu'il me reste encore Ouzo à préparer. Pour éviter de tomber d'inanition du haut de ma selle, je vais prendre un petit-déjeuner copieux. Enfin, en activant le pas, je me rends aux écuries.