Repas du soir préparé par Charly

Chose promis, chose dû. Je n’ai pas eu beaucoup de patient aujourd’hui, aussi j’en ai profité pour faire une petite balade malgré la chaleur écrasante. J’ai réussis à dégotter un vieux T-shirt blanc au fin fond de ma valise. Résultat des courses ; j’ai les bras rouges écrevisses. En passant à la douche, je me suis enduis de crème pour calmer la douleur. Ce n’est vraiment pas le moment, j’ai quand même un repas à préparer. Ha oui, en parlant du dîner, j’ai une petite idée de ce que je vais leur faire. Ce n’est pas très original mais, quitte à avoir un londonien avec eux, autant que je leur fasse découvrir quelques spécialité. Je descends au salon et me dirige vers la cuisine, un polo à manches courtes sur les épaules pour éviter tout contact avec mes bras endoloris. Sur la table de la salle à manger, je prends le livre de recettes et souris. Les premiers plats que je vais inscrire là-dedans risquent d’être boudées par les autres cavaliers. J’ai entendu dire que par chez eux, ils ne sont pas friands de nos plats mais il n’est pas trop tard pour les faire changer d’avis. Je trouve un stylo posé à côté du carnet et entreprends d’y écrire les recettes que j’ai prévu ; Gratin de pommes de terre au cheddar et un pudding.

Ensuite, je vais regarder dans le réfrigérateur pour retirer tout ce dont j’ai besoin. J’ai appris à cuisiner par contrainte. Quand on est étudiant et qu’on vit seul, mieux vaut savoir se débrouiller avec le fourneau. Maintenant, j’aime bien préparer à manger, surtout si ça peut aider un peu. Je passe environ une heure en cuisine, l’odeur doit se répandre dans le salon, j’espère que ça va les faire venir. Je mets le pudding au frais et je garde le gratin au chaud dans le four. En attendant que tout le monde arrive, je dresse la table et allume la lumière, des nuages noirs sont venus tout d’un coup assombrir la soirée.

Je viens donc de faire la connaissance de Vordano. Il a l’air sympathique mais pas très inspiré par la cuisine anglaise. Ce que je peux comprendre à vrai dire. Encore quoi, je leur épargne les œufs à l’écossaise ou les tourtes à la viande. Ils ne savent pas ce qu’ils loupent, j’en salive rien qu’à y penser. Cela tombe bien, le dîner est prêt. Je me lave les mains, collantes à cause de la pâte du pudding et sort de la cuisine pour convier les autres cavaliers. Comme il semble que Fleurine a un intérêt tout particulier pour les situations embarrassantes. Depuis ce matin, elle cherche, avec le désespoir d’un condamné à mort, sa petite pantoufle rose Charlotte aux Fraises. Bien que je n’émette aucun commentaire, je ne peux pas dissimuler le rictus qui me soulève la lèvre. Décidément, elle n’a pas fini de nous en faire voir…cela promet d’être amusant.

Mon sourire s’évanouit en même temps que celui de Mayalen. Le soleil s’est fait taire par un énorme et inquiétant nuage noir. Je me rappelle de cette histoire de tempête qui inquiète tellement la jeune femme. Fronçant les sourcils, j’espère que ces intempéries ne vont pas venir ternir l’ambiance. Quelques gouttes commencent à s’écraser mollement sur les vitres. Je me dirige vers les gérantes du domaine et pose une main affectueuse sur leur épaule.

« Le repas anglais ET le temps anglais…vous êtes gâtés ce soir. »

Je m’absente un instant à la cuisine, cherchant quelque chose pour servir mon gratin. Visiblement, mon absence a servi à un ou plusieurs affamés de grappiller dans le plat. Deux petites traces de fourchettes trahissent leur odieux larcin. Je fronce les sourcils et scrute chacun d’entre eux d’un air faussement contrarié. Finalement, mon visage se fend d’un sourire. Je sers d’abord Fleurine et Mayalen et finis par Vordano et moi-même. Je m’assois en leur compagnie avant de leur souhaiter le bon appétit. « J’espère sincèrement que cela vous plaira…C’est le plat que me faisait ma mère quand je rentrais de mes cours de piano...» Je me perds un instant dans de vieux souvenirs, légèrement douloureux mais doux dans leurs contenus.

C’est drôle, j’ai l’impression que mes soupçons sont bien fondés. Donc nos deux coupables répondent aux noms de Fleurine et Vordano. Après avoir servi tout le monde en jus de pomme, j’en avale une gorgée, silencieusement et pointe mes deux voleurs du bout de ma fourchette.

« Je vous ai à l’œil vous deux…hm…et privé de dessert donc ? »

Au même moment, un éclair illumine soudainement la pièce. Je me retourne vers la fenêtre. Le temps se déchaine dehors, cette vision est apocalyptique. La pluie martèle les carreaux. Le grondement du tonnerre nous parvient, d’abord simple vrombissement qui s’accentue comme si tout un troupeau de chevaux se dirigeaient droit sur nous. La lumière vacille un peu. Je croise les doigts pour qu’il n’y ait aucune coupure de courant.

J’essuie une larme qui perle de mon œil. Fleurine m’a vraiment fait rire, cela fait bien longtemps que je ne me suis pas amusé comme ça. J’en ai mal au ventre tellement mon fou rire a été intense. En fait, cet orage est plutôt une bénédiction, grâce à lui nous passons une soirée originale qui nous rapproche. Le « fantôme » de Fleurine s’avère être une jeune demoiselle visiblement peu rassuré par la coupure de courant. Je ne l’ai pas encore croisé aussi, quand elle demande si elle peut se joindre à nous, je lui fais signe pour qu’elle prenne place à la table. Vordano nous ramène un jeu de petits chevaux. Décidément, ce type doit manger du clown.

« Faisons une partie, j’irai regarder le compteur après pour remettre le courant. » "Au fait", je fais en plantant mon regard dans celui de notre nouvelle venue et lui tendant la main « Je suis Charly »

« Tu n’as rien interrompu voyons ! Nous espérions justement que l’on se joigne à nous. » Je fais en tendant une assiette de gratin à Elyse. Je sors les pions de la boîte de jeu mais le temps ne semble pas décidé à nous laisser une soirée tranquille. La pluie s’est accentuée, malmenant les fenêtres au même titre que nos oreilles. Le bruit emplis la pièce et me fait grimacer. Le tonnerre détone comme un coup de fusil, me faisant sursauter et lâcher le pion que j’avais dans les mains. Il tombe par terre et va rouler sous la table. « Oh c’est pas vrai» je jure en levant les yeux aux ciels. Je disparais sous la table et, à taton essaye de trouver le pion fugitif. Ma main se ferme sur le pied de quelqu’un « oops…sorry ».

Tout s’est passé bien trop vite pour que j’ais pu réagir. La propriétaire de ce pied, il n’y a pas à dire, a de très bons réflexes. Le coup est partie avec force et détermination pour venir s’écraser sur mon nom. Au passage, je me cogne aussi à la table et lâche une volée de jurons tous plus poétiques les uns que les autres. J’espère que leur compréhension de l’anglais se limite aux politesses de base. Je m’extirpe de sous la table sans avoir retrouvé le pion, la main sur le nez. Je sens un liquide chaud et poisseux couler sur ma main et jusque sur mon avant-bras. Je n’ai pas été loupé. Si ma chemise a survécu à l’incident du café, elle rend les armes face à la coulée d’hémoglobine. Les hurlements de terreurs fusent autour de ma brusque réapparition, abimant mes tympans. Je leur fais signe de baisser d’un ton, une main sanguinolente répandant quelques gouttes sur le sol. Après avoir expliqué ma trépidante et périlleuse aventure de sous la table et une fois les esprits calmés, j’accepte volontiers les mouchoirs et la glace qui me propose Mayalen. La pochette glacée sur ma bosse et le mouchoir sur mon nez, je maudis le courant qui s’est décidé à revenir. Maintenant, tout le monde peut voir la superbe tâche rouge sombre sur ma manche droite. Je fus attendrie quand Fleurine nous confie qu’elle a peur du noir. J’ai eu moi-même très longtemps une phobie maladive du noir mais maintenant ça va mieux. Je vais me rincer le nez et laisse Elyse ainsi que Fleurine me déposer un baiser sur la joue, dubitatif. Une autre pratique à laquelle je vais devoir m’habituer. Si ma supérieure n’avait pas fait allusion au pudding je l’aurais certainement complètement oublier. Après tout ce qui s’est passé ce soir, je n’ai plus vraiment le courage d’avaler quelque chose. Il faut juste que je me change, que j’enlève fissa cette tâche et que j’aille fumer pour décompresser un peu.

« Je vais monter aussi, il faut que j’enlève ça » Je fais en pointant ma chemise du doigt « Good night ev’rybody » Je commence à m’en aller « Oh et si il y a de nouveau de l’orage cette nuit, ma porte est ouverte…hum…je veux dire » Je me gratte les cheveux, gêné par la tournure de ma phrase « Il y a un canapé quoi…et je ne risque pas de dormir tout de suite »