Détente sur le balcon

Lessivé et moulu. Ce sont les adjectifs qui me correspondent le plus en ce début de soirée. Passer ma journée, courbé, à manipuler chaque cheval du club a eu raison de mon énergie et mon appétit. Les autres cavaliers ont dû me prendre pour un ours des cavernes mal embouché en me voyant débarquer, mal rasé, mal coiffé et accablé par la fatigue. Je n'ai même pas pris le temps de manger. Mes envies se limitaient à me rafraichir et enfiler autre chose que mes habits de travail. Après avoir passé quelques minutes sous la douche, je me coiffe approximativement, renonce au rasage de peur de m'entailler la joue d'un mauvais geste dû à la fatigue. J'enfile un jean souple et, pour l'essayer, la chemise offerte par Fleurine. Elle me va parfaitement bien. De plus, le vert est une couleur qui manque cruellement à ma garde-robe. Je souris à mon reflet. Je n'ai quant même pas la mine des beaux jours. Le point positif dans mon malheur c'est que je ne sens plus le cheval à des kilomètres à la ronde. L'heure tourne lentement. Je n'ai ni sommeil, ni faim et mes nerfs me courent sous la peau, tendus. Cela fait longtemps que je n'ai pas autant travaillé et ce retour brutal à l'activité est vraiment harassant. Pour faire passer le temps, je sors sur le balcon. Dehors, il fait bon et, les nuages blancs s'éparpillant dans le soleil rougeoyant du crépuscule, offrent un spectacle magnifique. Appuyé sur la rambarde, je soupire en sentant la brise fraîche se glisser sur mon cou. Evidemment, je ne peux pas m'empêcher de m'adonner à mon vis le plus fâcheux ; la cigarette. En soufflant une épaisse fumée dans les airs, je me mets à fredonner un air des Beatles que j'apprécie énormément ; Yesterday. A vrai dire, je ne m'attends pas à ce que quelqu'un surprenne ce moment de solitude...

Si mon coeur avait pu sortir de ma poitrine à cet instant, soyez en sûr, il l'aurait fait. J'ai failli en faire tomber ma cigarette. En voyant Fleurine, un sourire se dessine sur mon visage. Au moins, personne d'autre ne saurait que mes talents de chanteur sont discutables. J'accepte volontiers les friandises qu'elle me tend. Je connais évidemment cette marque mondialement connue puisqu'elle a vu le jour dans autre beau pays...et que j'en mangeais à m'en rendre malade quand j'étais enfant. Je tourne la tête pour souffler un nouveau nuage dans les airs, de façon à ne pas intoxiquer la jeune femme avec mes sales manies.

"Malboro...en fait, je ne les apprécie pas tellement...c'est plutôt un exutoire."

La question tant redoutée ne tarde pas à tomber. Je reprends appuie sur la rambarde, face au vent, et laisse pendre ma main libre. Je ne veux pas l'ennuyer avec mes histoires, ni qu'elle se sente peinée. J'ai l'impression de revivre la même scène qu'hier. Mais cette fois, je ne vais pas arriver à me défiler. Je ne dois pas le faire. Ca n'a jamais été mon genre de refuser de faire face. Mais il y a des choses qui sont au dessus de mes forces. J'avale le petit chocolat sans dire un mot et prends quelques minutes avant de parler.

"Désolé...mais j'ai encore quelques problèmes pour gérer les turbulences dans ma famille...je n'ai pas voulu partir comme ça mais, il y a des choses qui me tiraillent toujours..."

Oh...J'ai un moment d'absence en sentant la main de Fleurine saisir doucement la mienne. Cela fait longtemps qu'une femme n'a pas mêlé ses doigts aux miens. La dernière fois, c'était pour me dire que j'étais trop distant et qu'elle me quittait pour en autre. Je souris à la jeune femme et resserre un peu ma main autour de ses doigts fins. J'écoute, attentif, la moindre paroles de Fleurine et acquiesce d'un hochement de tête. C'est vrai, la saison s'annonce chaude et longue, de quoi nous occuper pendant nos journées jusqu'aux heures où le soleil se cache derrière l'horizon. Pour ce qui est des mouches, je dois bien admettre que leur présence a quelque chose d'exaspérant d'autant plus qu'à cette époque, elles ont une fâcheuse tendance à piquer.

"Oui, elles me tournent autour c'est assez dérangeant...mais ça fait parti des désagréments du métier."

Persuadé d'avoir entendu quelqu'un, je me retourne et ais juste le temps d'apercevoir une mèche brune de Mayalen disparaître à l'intérieur du bâtiment. Pourquoi s'en aller comme ça ? Elle aurait pu se joindre à nous. A moins que...Oh. Je vois...Brusquement, je sens un petit malaise poindre au fond de mon ventre. Ca me paraît rapide et incontrôlé, mal vue de ma part.

"Et toi Fleurine, je ne t'ai pas demandé, tu t'en sors ? Je veux dire, tu as beaucoup à faire, tu sais que je suis là en cas de besoin...N'en fais pas trop surtout, je ne veux pas te voir te surmener."

Un fantôme ? Oui peut-être. L'impression d'un vague souvenir dans nos mains mêlées. Un souvenir qui vient s'écraser sur les berges incertaines de mon existence. Je lâche un rictus nerveux devant mon incroyable naïveté. On dirait un gamin de quinze ans encore tourmenté par la danse effrénée de ses hormones. Comme circonstance atténuante, j'invoque ici les temps un peu secoués que je traverse et la fatigue qui me rend bien plus tactile que je ne le suis réellement. Je ne peux pas nier apprécier Fleurine. Tout au contraire mais je ne sais plus vraiment quoi penser. Un sourire revient s'accrocher à mon visage alors que la jeune femme blonde vient piquer un After Eight dans la boîte et me fait oublier mes questionnements. Je la bouscule gentiment de l'épaule, me sentant plus à l'aise maintenant que nos mains ne sont plus enlacées.

"Sachez damoiselle Fleurine" je commence en prenant des grands airs "que je suis votre humble chevalier."